HOPE S01 EP04
Pendant quelques secondes un silence total régna dans la salle de réunion.
Puis très vite des éclats de voix commencèrent à fuser à droite et à gauche.
Des réactions contradictoires s’élevaient, laissant monter peu à peu un brouhaha assourdissant.
Paul et ses Bagaudes avançaient au milieu de la foule qui s’écartait devant eux, tantôt pour les fuir comme des pestiférés, tantôt pour leur dégager le passage en marque de respect.
Sonia les fixait sans ciller. Ils arrivèrent jusqu’à sa table sans dire un mot et se plantèrent fièrement devant elle.
-La nourriture volée, c’était en échange de ça! annonça Paul.
Les Bagaudes posèrent fermement les bâtons de dynamite sur la table et reculèrent d’un pas, parfaitement synchrones.
-Il va falloir nous expliquer Paul. Tu as disparu sans prévenir, plus donné aucun signe de vie, et tu réapparais aujourd’hui comme une fleur avec 3 personnes que nous avons probablement combattues lors d’une attaque. De quel côté es-tu? s’exclama Sonia dont les yeux trahissait la colère intérieure.
-Je suis avec vous.
Clameur satisfaite dans la salle.
« Je suis avec vous, mais avec elles aussi » ajouta-t-il en montrant ses trois comparses silencieuses.
« On doit tous être avec elles »
Cette fois des cris désapprobateurs résonnèrent, masquant le son de sa voix.
Sonia leva les bras pour faire revenir le silence.
-Les Bagaudes ne sont peut-être pas tous très fins, mais certains sont très malins, continua-t-il.
Il se retourna pour haranguer la foule :
« Ils ont des choses que nous n’avons pas ! Des forges ! Des métaux à travailler ! La plupart sont armés ! Leurs arcs et leurs flèches sont de plus en plus précis ! Ils sont en train de mettre au point des explosifs, et je peux vous garantir que lorsqu’ils seront opérationnels ils n’hésiteront pas une seconde à s’en servir ! »
Tout le monde dévisageait les Bagaudes comme des bêtes curieuses.
« Cela étant, nous avons nous aussi des choses qu’ils n’ont pas : la nourriture bien sûr, mais aussi des onguents et des baumes pour nous soigner. Certains d’entre nous ont des livres, d’autres des connaissances précieuses. »
Il marqua volontairement une pause pour que l’idée chemine d’elle-même dans la tête de son auditoire.
Les gens chuchotaient entre eux pour échanger leurs points de vue.
-Qu’attends-tu de nous Paul ? insista Sonia.
Elle avait déjà compris, mais préférait que l’idée sorte de la bouche de Paul.
-Je pense que nous devons instaurer une trêve durable avec les Bagaudes, affirma-t-il.
Sonia avait du mal à masquer son agacement. Sa main tapotait nerveusement le coussin de parole. Elle se mordait la lèvre tout en réfléchissant.
Il lui semblait capital de coopérer avec les autres communautés qui tentaient comme ici tant bien que mal de survivre en s’adaptant comme elles le pouvaient.
Les Bagaudes en revanche, elle les méprisait. Ils étaient à ses yeux des parasites profitant du labeur et des connaissances des autres sans chercher une seule seconde à s’améliorer eux-mêmes. Leurs attaques étaient sournoises et dépourvues d’humanité.
Cependant, la Loi de l’Inclusif tambourinait à la porte de sa conscience.
« Chacun a droit à sa chance » se répétait-elle en boucle.
-Puisqu’on a de la dynamite, on peut leur faire péter la bouche ! Cria Anthony, surexcité.
Visiblement il n’avait pas tout compris, dans son enthousiasme de revoir son ami Paul il n’avait pas particulièrement écouté ce qui venait de se dire.
-Je pense que nous devons nous rapprocher des communautés du nord et du sud pour nous mettre d’accord sur un plan d’action. Il faut que l’on arrive à instaurer un dialogue avec les Bagaudes sans craindre de se faire empaler ni détrousser. Quelques Bagaudes sont avec nous comme vous pouvez le voir ; ce ne sont pas les seules. Il y a dans leur campement juste à côté d’ici d’autres personnes prêtes à s’allier à nous et à faciliter une rencontre.
Comme Sonia restait silencieuse, il s’approcha de son visage et ajouta d’une voie déterminée :
« On ne pourra vivre côte à côte que si on coopère les uns avec les autres »
Marion le dévisageait avec un mélange d’admiration, d’interrogation et d’agacement. Il ne lui avait même pas adressé un regard.
« A se demander s’il sait que je suis là » songea-t-elle amèrement.
Kader prit la parole.
-Je pense que Paul a raison. Si on continue à s’entretuer comme on le fait là, on n’y arrivera pas. Ni les Bagaudes ni nous. J’ai vu leurs armes. Ils ont même fait des boucliers. Croyez-moi, si on ne trouve pas un moyen de calmer leurs pillages et leur désir d’en découdre, je ne donne pas cher de notre peau. Mais eux tout seuls ne savent ni planter ni récolter. Sans nous, ils sont voués à mourir de faim et à disparaître aussi. Nous avons besoin d’eux et eux ont besoin de nous.
—-
Paul « Je sais qu’ils nous ont attaqués il y a deux mois et que vous nourrissez des ressentiments. Nous avons eu des blessés et des morts mais les bagaudes aussi. Il y a eu des dissensions chez eux, entre ceux qui voulaient coopérer et s’installer. Et ceux qui voulaient poursuivre les raids. Aujourd’hui ils nous tendent la main, à nous de saisir cette chance »
La mère Angèle semblait manifestement dubitative
« Cela fait des années qu’ils pillent et attaquent les communautés inclusives, pourquoi changerait-ils de cap maintenant ? Un loup peut-il devenir un agneau ? Une ortie peut-elle se transformer durablement en batavia ? » interrogea-t-elle
Phil « vous me connaissez bien, je suis plutôt avare en paroles. Mais moi je dis que tout cela est trop beau pour être vrai, il y a quelque chose qui cloche. J’ai été militaire pendant 10 ans et ne suis pas très prompte à croire en la bonté humaine sauf si elle résulte d’une organisation sociale avec des règles bien établies. Et là, ça me paraît louche. Tu dis, Kader, que les bagaudes sont en train de se reconstituer et de s’armer. Et nous voyons Paul se ramener avec trois d’entre elles en émissaires pour négocier une trêve voire même une coopération. Je suis désolé mais tout cela sonne faux »
Marion n’en pouvait plus de rester inactive et non remarquée. Elle bouillait littéralement de l’intérieur. Il lui fallait agir, réagir, parler. Faire quelque chose pour ne pas perdre son statut. A tout prix se faire remarquer, briller…
… idéalement prendre l’ascendant, il le fallait. C’était sa minute ou jamais. Elle le sentait. Il y avait Kader, Phil, Lux, Paul, Mère Angèle, Sonia et tous les autres…
… Mais il y avait surtout Kader.
Le moment était idéalement choisi.
Ne pas trop parler pour garder son aura, mais en dire suffisamment pour la conserver.
Elle s’avança, toujours avec cette posture alliant classe et contrôle sur soi.
« la peur mène à une impasse, toujours. Je vous propose de parler de tout ceci au vieil Erwan pour poser les choses avant toute décision prise sous l’émotion »
L’effet fut parfait. Majestueux. L’un de ces coups dont elle avait le secret.
Comme d’autres, Kader acquiesça de la tête et la regarda un bref instant, ce qui ne lui avait pas échappé. C’était même le premier effet escompté : se faire remarquer de Kader et orienter le regard qu’il pouvait avoir d’elle. Attirer son attention.
Comme avec d’autres hommes du village, le plan de Marion était déjà tout tracé : marquer leur attention sur sa force de caractère, sa posture, son à-propos… puis susciter l’admiration pour être choisie comme Marraine. Et, partant de là, disposer d’une ascendance morale certaine.
Elle avait toujours en tête les paroles du vieil Erwan sur l’utilité des marraines : les hommes ont besoin d’écoute féminine et d’évaluation bienveillante, ils ont besoin d’exemples à suivre et d’être évalués. Sans cela, sans amour, sans exemples à suivre, sans personne à qui rendre compte, ils en reviennent à des comportements égocentriques et prédatifs. Les femmes, disait-il, doivent inspirer et guider : c’est leur rôle premier dans un système inclusif et coopératif.
Marion l’avait interprété à sa sauce. Elle se voyait comme une guerrière et une dominatrice. Et, pour elle, la loi de l’inclusif n’interdisait pas pour autant une certaine ascendance qui ne pouvait logiquement être que féminine. Après tout, songea-t-elle, l’admiration amène à la dévotion. La dévotion amène à la soumission. Et ça, Marion, ça l’excitait beaucoup… Et un homme ne peut être canalisé durablement sans soumission librement consentie. C’était sa vision des choses et, bien évidemment, elle se gardait bien de la partager.
Paul raconta son plan au Vieil Erwan, qui n’avait pas assisté à la réunion toute passionnée qu’il était par un de ces bouquins que la Mère Angèle lui avait filé sur les plantes médicinales.
« Les bagaudes ont des armes et se reconstituent c’est vrai. Mais elles sont particulièrement affaiblies. Elles ont perdu beaucoup d’hommes, essentiellement du fait du manque de nourriture. Mais ce n’est pas la raison essentielle. Ils ne sont plus qu’une centaine tout au plus dont une bonne moitié est affaiblie par les maladies. »
Phil : « Je me disais bien que ce n’était pas seulement notre nourriture ou notre dispositif de filtration d’eau qui les intéressait. Une chance que l’on ait pu conserver un savoir-faire médicinal de base, c’est encore bien l’argument le plus dissuasif que l’on peut placer dans la balance »
« Exactement » poursuivi Paul.
« Mais pas seulement. Ils voient bien que de plus en plus de communautés s’établissent ici et là. Il y a eu des débats et des discussions chez eux. Ils ont des contacts avec d’autres bandes de bagaudes : la plupart ont été décimées par les épidémies, la dengue, la tuberculose, la grippe, le choléra aussi… cela a provoqué l’éclatement de beaucoup de leurs bandes car ils se fuyaient véritablement entre eux comme la peste. A juste titre. »
Phil : « et c’est pour cela que tu leur fait confiance ? »
« Je ne leur fait pas confiance » rétorqua Paul. « je mise sur leur égoïsme. Ils nous seront acquis lorsqu’ils seront pleinement persuadés que leur intérêt est de nous suivre »
La Mère Angèle sorti alors de son silence.
« Il faudrait s’assurer qu’ils n’aient pas de maladies contagieuses. Je peux apporter des cures préventives, et quelques soins curatifs. Mais pour soigner la dengue ou d’autres épidémies autrefois bénignes, c’est une autre histoire et même dangereux pour notre communauté »
Phil « es-tu allé dans leur campement Paul ? As-tu vu de quoi elles étaient malades ? »
« J’ai vu des gens malades mais je ne suis pas un spécialiste de la question » rétorqua Paul.
Le vieil Erwan pris alors la parole.
« Qu’ils puissent vouloir se joindre à nous et coopérer est une bonne chose. Plus la loi de l’inclusif aura d’adeptes et mieux cela sera. Nous vivons dans une terre dévastée qu’il s’agit de reconstruire avec les bons schémas de pensée. Mais il s’agit d’abord de s’assurer de l’honnêteté de leurs intentions et des maladies qu’ils ont. On ne peut courir aucun risque. Échangeons quelques jours avec ces 3 bagaudes, éveillons leurs curiosités et leurs soifs d’apprendre mais sans tout leur montrer, surtout pas. Attendons d’être sûrs. Et, une fois que cela sera acquis, il faudra s’évertuer à ce qu’ils changent durablement de schémas de pensée. La loi de l’inclusif demande un temps d’apprentissage et un accompagnement de chaque instant. La confiance n’exclut pas le contrôle »
« De sage paroles comme toujours » répondit Marion. « Nous devrions aller jeter un œil au campement des bagaudes, sans se faire remarquer. As-tu toujours ta lunette de visée Phil ? »
« Je ne m’en sépare jamais Marion, tu le sais bien »
Phil avait toujours sur lui sa lunette de visée qui équipait autrefois son fusil d’assaut HK 416. Puis, quand ce fut la pénurie globale de munitions, mais aussi pour des raisons évidentes de discrétion acoustique, il troqua son fusil d’assaut contre une arbalète sur laquelle il pouvait placer son viseur optique. Celui-ci, doté d’une grande lentille à revêtement de 50mn, permettait non seulement un grossissement de 3 à 9 fois mais aussi un large champ de vision, idéal pour les cibles à tir rapide et mobiles.
——
– C’est une très mauvaise idée.
Paul avait perdu -un peu – de son assurance.
– De quoi ?
– D’aller les espionner, si vous vous faîtes choper, je n’aurai plus l’avantage.
– Je ? Paul ? Tu joues le Je maintenant pas vrai, te voilà bientôt grand Vizir ?
– « Je » oui, « Je » nous ai sauvé. Pendant que vous organisiez vos petites sauteries de la victoire, j’étais là pour empêcher les Bagaudes de venir se venger
– Tu veux dire après la raclée qu’on leur a mise,
– Ha oui c’est le jour où tu y étais pas
– J’étais pas là non, par contre j’étais seul face à ces gros cons quand ils se sont regroupés et qu’ils parlaient de vous envoyer de bonnes grosses flèches enflammées dans les miches. Vous avez vu ce que je vous ai ramené ? De la dynamite, ça vous vient pas à l’idée que sans moi, votre moulin à poivre, la spiruline et tout l’orchestre, ça ferait un joli feu d’artifice dans la nuit ? Avec de la dynamite, les Bagaudes avaient de quoi vous faire un joli match retour…
C’était comme si le silence lui-même prenait le temps de la réflexion…
– Mais alors pourquoi ils ne l’ont pas utilisé la première fois
Il sembla à Marion que le regard fiévreux avait glissé vers elle.
– Parce que ces gros bourrins ne pensaient pas que nos « défenseurs » seraient si compétents. Ils avaient beaucoup de malades dans leurs rangs. Ils étaient complètement désorganisés.
Nouvelle pause.
Les Bagaudes avaient la possibilité de tout détruire, s’ils ne le faisaient pas, c’était pour conserver les jardins, les moulins, les panneaux, et surtout les gens capables de faire fonctionner le système.
Sonia résuma ce qui leur trottait dans la tête :
– Jusqu’à ce que tu leur apportes notre nourriture. Paul. Crois-tu que cela puisse rester impuni ?
– Je l’ai fait pour vous ! Je savais que si je vous en parlais, vous m’auriez empêché.
Sonia ne répondit rien. Si les choses s’étaient passées telles qu’il le prétendait, il leur avait réellement sauvé la vie en étouffant la riposte Bagaude dans l’œuf.
– Mais le jour où ils vont devenir plus gourmands, demander plus de vivres, poser leurs grosses pognes sur nos femmes, nous refiler leur saleté de Dengue, de choléra, ils vont te demander la permission ?
– Il ne s’agît pas de vivre avec eux, ici. Il s’agît d’établir un réseau d’échanges, basés sur un rapport de force et d’intérêt équilibré. C’est pour ça que je suis venu avec la dynamite, nous en avons autant qu’eux à présent. Et ils me font confiance.
Erwan prit la parole.
– Paul propose d’avoir les Bagaudes sous contrôle, ou du moins à l’oeil. En admettant qu’on refuse le traité, ils nous attaqueront de nouveau à un moment ou à un autre, et avec plus de dégâts cette fois. J’aurai préféré ne jamais avoir ce type de personnes dans nos murs
– Mais IL NE S’AGIT PAS de les faire venir dans nos murs.
Erwan avait encore la bouche ouverte. Ça faisait une paie que personne ne lui avait coupé la parole. Il eut un regard pour le coussin de paroles dans les bras de Sonia, qui ne semblait même pas consciente de le détenir. Encore un truc qui avait du mal à résister à la réalité d’une bande de jeunes gens impétueux. L’effronté poursuivait, inconscient de ce qu’il avait fait.
– Ils veulent pas vivre avec nous non plus. Ils sont ok pour faire plusieurs points en bas, avec le ruisseau, nos vivres, et les médicaments…
Erwan se rendit compte que les jours tranquilles étaient derrière eux. La proposition de Paul ne pouvait pas se refuser. Et en même temps, il amenait effectivement des loups autour de la bergerie. Ce qui agaçait l’ancêtre était de ne pouvoir déterminer pour qui roulait le jeune ingénieur . I Erwan se flattait de savoir lire dans les gens. Là ça ne matchait pas comme on disait à son époque !
Visiblement il n’était pas le seul à se poser ce type de question, Sonia résuma -encore – la pensée dominante :
– Et comme ça tu auras le contrôle de tout
Le jeune homme accusa le coup.
– Décidément on ne se connaît plus …Demandez moi où j’étais pendant ces deux mois ? Qu’est-ce que j’ai vu ?
À nouveau le silence, personne ne se sentait d’obéir comme un élève zélé. Mais Paul gardait le silence, semblant plongé dans ses souvenirs.
Finalement ce fut Marion qui s’exécuta. Dans sa bouche sèche, la question prenait une autre dimension. Et lorsque Paul répondit, on eut dit que ce n’était que pour elle.
– Le danger. Le danger sous plein de formes, les cheniolles, les frelons, les cafards-drônes et surtout des fantômes, des fantômes d’humains qui errent sur la terre aride, des cadavres debout qui s’en viennent. Grâce à Kader, les points de Survie commencent à se connaître. Tous les jours il en vient à nos portes. Mais ceux que j’ai vu c’est juste l’avant-garde, un jour prochain, le gros de la troupe va marcher sur ce village ! Et vous savez qu’il y a des clans mieux organisés qui représentent un danger. Avec les bagaudes en avant-postes, on sera prêt.
– Tu parles des Feydakins
Il ne prit pas la peine de répondre. Il avait l’air très las soudainement, d’un coup toute envie de convaincre l’avait quitté.
– Les Feydakins n’attaqueront pas le Rocher. Ne te sers pas d’elles pour arriver à tes fins.
– ça suffit trancha Phil. On a dit qu’on allait observer les Bagaudes, et c’est ce qu’on va faire.
Il s’arrêta en plein milieu de sa phrase, sans aucun égard pour leurs règles de courtoisie, Paul avait levé la main et quitté la pièce.
Décidément il était fort en entrée, et en sortie. Cette pensée fit sourire Marion.
De l’autre côté de la porte, Paul s’adossa au mur et se força à respirer lentement.
Il y serait probablement parvenu si l’obscurité ne s’était mise à l’applaudir.
– Clap, clap beau discours mon Paulo
Paul sourit, ce n’était pas un des Bagaudes venus lui demander des comptes, c’était.
– Kevin mon frère !
– Mais je me demandais quand même, tu es revenue pour elle ou pour nous ?
– Non pas toi ! Après tout ce que j’ai fait pour toi …
– Oui mais ça c’était avant, Paul, du temps où tu étais Paul. Du temps où tu n’étais pas devenu un fou, un loup pour ta propre famille
Une lueur de folie passa dans les yeux de Paul. Kevin n’avait pas peur, mais il était impressionné de constater qu’il parlait à un parfait inconnu.
– Kevin, tu as une seule phrase à dire avant que je te casse ce qui te sert de râtelier, alors choisis bien tes mots, si j’étais toi ça commencerait par « excuse »et ça finirait par « moi », alors vas-y mon ami, dis-moi clairement ce qui se passe dans ta petite tête ?
Le gamin planta ses yeux dans le regard incandescent.
– Il se passe que tes nouveaux copains sont au pied du village avec un joli feu de joie.
—-
Phil et Marion devait faire vite s’ils voulaient atteindre le camp des bagaudes avant qu’il ne fasse trop sombre. Cependant toute sortie en dehors des environs du village imposait certaines précautions. Phil et Marion foncèrent au dortoir de Phil en prenant soin d’éviter de croiser les bagaudes. Sur place ils s’équipèrent en vitesse. Phil prit son arbalète sur laquelle il installa sa lunette. Il attacha le carquois dans son dos. Il compléta son attirail avec un couteau de combat ; souvenir des Forces Spéciales, qu’il glissa à sa ceinture. Il ne portait aucune protection mais à priori ils n’auraient pas besoin d’engager le combat, vu qu’ils pourraient les observer hors de portée de flèches. En guise d’arme il donna sa pelle US à Marion qui lui jeta un regard dubitatif :
« Une pelle ? Sérieusement Phil ? Je préfère encore prendre ta batte. »
« T’as peur d’y aller avec une pelle pour seule arme ? », répliqua l’ex-militaire sur un ton défi
Intérieurement Phil était curieux de savoir comment réagirait Marion. Il connaissait la bravoure de sa jeune comparse mais il voulait savoir jusqu’où celle-ci était prête à aller. En guise de réponse Marion se dirigea vers la sortie, pelle à la main. Un petit sourire au coin des lèvres, Phil s’engagea à suite. Direction le camp des Bagaudes, Paul ne leur avait pas révélé où il se trouvait mais Phil comme Marion avaient patrouillé de nombreuses fois dans les alentours et ils avaient localisés certains sites à quelques kilomètres du village où les Bagaudes montaient leurs camps. Après avoir pris connaissance de la direction d’où étaient arrivés Paul et ses bagaudes auprès des sentinelles, ils surent dans quel secteur chercher. Ils n’eurent en réalité pas besoin d’aller bien loin.
Ils n’étaient qu’à un petit kilomètre du Rocher et n’étaient pas suffisamment sur leur garde. Au moment où Phil et Marion perçurent le mouvement dans leur dos il était trop tard pour agir. Ils se trouvaient nez à nez avec quatre bagaudes arc tendus dans leur direction. Phil ne prit même pas la peine de pointer son arme sur eux. A cette distance impossible d’esquiver les projectiles. Pourtant les Bagaudes ne tirèrent aucune flèche. L’un d’eux prit la parole. Il s’agissait d’un jeune homme d’une vingtaine d’année au corps sec avec les cheveux noir attachés en catogans et une barbe mal taillée. Malgré son jeune âge il paraissait très à l’aise avec la situation. Lentement il détendit la corde de son arc puis il fit signe aux trois autres de faire de même. Il laissa un court silence s’installer. Il observa un instant ses deux interlocuteurs avant de se mettre à parler.
« Je m’appelle Solomon. Nous sommes avec Paul… »
Devant le silence de Phil et Marion qui le regardait avec méfiance, il poursuivit.
« Soyons clair. Je n’ai pas l’intention de vous tuer. Paul nous offre…une opportunité de vivre mieux. Et même si je vous aime pas ; soyons honnête, je suis assez malin pour savoir qu’on s’en sortirait mieux avec vous. Voilà pourquoi je suis prêt à ce qu’on coopère. »
« Et tu penses que je suis prêt à croire que tout tes petits copains sont d’aussi bonne volonté que toi ? », ironisa Marion
« Tu dois avoir très confiance en toi pour me parler sur ce ton alors qu’on aurait pu vous abattre en vous tirant dans le dos. »
La tension remonta d’un cran et les deux jeunes gens se toisèrent.
« J’admets que tu as fait preuve d’une humanité inhabituelle pour un pillard. », finit par lâcher Marion pleine de sang froid
Phil aurait presque souri s’il n’avait pas eu son attention focalisée sur les Bagaudes. Si les choses dégénéraient il estimait avoir le temps de tirer un carreau sur son adversaire le plus proche avant de passer au corps à corps. Corps à corps qui serait sans doute tendue car leurs adversaires étaient plutôt bien portant. Malgré cela Solomon conserva la même posture.
« Rentrez chez vous. Paul nous a prévenu que vous risquiez de venir fouiner à la recherche de notre camp. La méfiance. Je comprends ça, on ne se serait pas rencontrer aujourd’hui sinon. »
Tous pensèrent que Solomon en avait terminé mais un instant après il s’adressa directement à Marion.
« Aujourd’hui je vous ai montré qu’on pouvait être plus malin que vous. Si nos émissaires ne s’étaient pas donné la peine d’allumer un feu pour nous signaler qu’ils étaient sains et saufs, je vous aurais troué la peau à tous les deux. Rien de personnel mais on tient les uns aux autres. Vous pouvez comprendre ça j’imagine. »
Phil comprit que le moment était venu de partir. Il conclut l’échange promptement de peur que Marion ne soit tenté de répondre à cet inconnu.
« On se souviendra du geste. »
Puis ce fut la fin de la rencontre. Phil et Marion rentrèrent au village.
—-
« Alors ? On va tous mourir ? » lança Malone avec un sourire moqueur aux deux éclaireurs/espions de retour.
« Si on est là c’est que non. » coupa glacial Marion.
« Hé ! relax mon amie, ça y est le second degré est aussi en pénurie ? »
« Arrête 2 secondes avec tes blagues Malone, tu vois très bien ce que je veux dire. »
« Ok, ok.. Bon, puisque tout le monde est sain et sauf, si on mangeait un morceau ?
Ces histoires de dynamites et de feu de Bagaudes ça m’a donné faim, pas vous ? »
Dans la salle commune, on commençait à éplucher quelques pommes de terre.
Paul et sa délégation étaient invités à un repas d’ambassadeur…
Enfin d’ambassadeur collapso…
Enfin de collapso quoi…
Enfin de collapso qui n’avait plus beaucoup de réserves en ce moment…
Bref ! Ils étaient invités à un repas.
Au menu, omelettes pommes de terre en petites parts sur lesquelles on saupoudrait les restes de ciboulettes sèches. À côté des feuilles de plantain et quelques châtaignes en guise de dessert.
Le sel était en option ainsi que tous les épices et autres exhausteurs de goût.
Le palais (non pas de l’ambassadeur) de nos survivants s’habituant peu à peu à des saveurs que d’aucun aurait jugées fades quelques décennies plus tôt.
« ..Et sinon dans les territoires, vous mangez quoi ? » Demanda Malone en finissant sa bouchée.
« Essentiellement des rongeurs, tu sais, ceux qui nous succéderont : les rats.
A côté des plantes sauvages, des fruits véreux. Quelques fois on choppe un chien de troupeau errant.
Rien d’exceptionnel, tu vois, un repas de gala comme celui-là ça me manquait ! » nota Paul en plantant sa fourchette dans un bout de pomme de terre.
« Il veut dire que c’est la première fois que vous mangez des légumes ? » demanda Sonia à une de ses voisines de table.
« Non, non. J’en ai déjà goûté. » répondit la Bagaude en baissant légèrement la tête.
Celle qui était en face renchérit la bouche pleine : « Ce qu’elle oublie de dire c’est comment on les avait eus ces patates ! » puis en rigolant d’insister « C’était il y a 4 ou 5 ans, quand on avait attaqué un village à une soixantaine de kilomètres d’ici. Ils avaient une réserve de dingue. Le type et sa famille c’était des pros de la patate. Ils en cultivaient des tonnes, ils avaient des buttes jusque dans la maison !» interrogeant hilare sa comparse en face gênée « Hein ? tu te rappelles ? Trop délire ce mec avec ses patates ! »
Un froid, dont on ne connaissait plus l’existence que dans des discussions polémiques s’abattit sur la cantine.
« ..Au fait, regardez ce que je vous ai amené! »
Kader, pour faire diversion, venait de sortir une bouteille de son sac.
—-
Tout le monde se tourna vers lui.
D’un habille coup de main, il cacha la bouteille, faisant durer le plaisir.
Phil éructa » Un Beaujolais ? »
Kader se retourna vers la salle en secouant la tête.
Lux surenchérit, » Châteauneuf du pape ? »
Kader » Non, au suivant »
L’une des bagaudes, répondant au nom de Cécile, osa un timide » Un Petrus ? »
Kader éclata de rire. Il continuait d’hypnotiser la salle, lui faisant oublier la précédente boulette de la Bagaude.
La salle s’échauffait, chacun y allait de son idée.
Kader, en maître de cérémonie accompli, réussissait à captiver son auditoire sans vraiment lâcher d’information sur sa bouteille.
Lorsque l’un d’eux pensait l’avoir vue et qu’il donnait son avis à voix haute, Kader l’encourageait à partager son avis avec les autres. Et c’est ainsi que toute la communauté se mit à réfléchir, à partager sur le contenu de la bouteille. Ils étaient tous suspendu aux lèvres de Kader.
Nous entendions des éclats de voix, des gloussements, des éclats de rire. Tout le monde participait.
D’un geste théâtral il posa la bouteille au centre de la table, elle était encore emmitouflée par un tissu opaque, une sorte de châle en laine épaisse qui ne laissait rien voir.
Kader » Tadammm » et il enleva le châle d’un geste preste.
La bouteille était décorée d’étoiles dorées sur un fond bleu nuit. Il était toujours impossible de voir le contenu.
Malonne : » Si ça se trouve, elle est vide »
Kevin « Ou pleine de ce truc pour nettoyer le métal, le truc qui colle et qui est hyper sucré »
Kader fit un geste imperceptible à Sonia. Elle acquiesça d’un rapide hochement de tête et disparu immédiatement.
Kader lança un » Il est temps que les diplomates prennent le pas sur les hommes d’actions. L’époque est aux tables rondes et à la détente. »
Sonia réapparu avec des petits verres.
Kader haussa les épaules, saisi la bouteille et commença à remplir.
Le liquide était vert, comme une décoction de plante.
Sonia » Ah, tu as sorti le vitriol »
Kevin « Pourquoi tu dis ça ? »
Chacun saisi son verre et, pas trop rassuré le porta lentement à sa bouche.
Kader reprit « A la détente ! Fermez les yeux, et emplissez vos poumons de cette magnificence «
Tout le monde se regardait, humant le breuvage étrange.
Kader « Allez, on trinque »
Ils tendirent tous leur verre qui s’entrechoquèrent gaiement.
Lux regarda Phil, Kevin Regarda Paul, Cécile regarda Sonia, les autres se regardèrent l’un l’autre, le regard en coin.
Ils regardèrent tous Kader. Il leva son verre et glou et glou et glou. Kader reposa son verre vide le premier, aussitôt suivit par les autres. Chacun y allait de sa grimace.
Phil, les yeux encore plissés » c’est du brutal ! »
Tout le monde acquiesça en silence et finit son verre.
Malonne » Faut quand même admettre : c’est plutôt une boisson d’homme… »
Kevin en avait la larme à l’œil.
Cécile la Bagaude « J’ai connu une Bagaude qu’en prenait au p’tit déjeuner, et plutôt deux fois qu’une ! »
Sonia » A chaque fois que j’en bois, je ne peux m’empêcher de me demander ce qu’il y a dedans »
Phil regardant Sonia « Est-ce utile ? »
Kader, saisit la bouteille et tous les verres se joignirent. Il resservit tout le monde. Chacun sirotât son verre plus facilement que la première fois.
Kevin » Je trouve qu’il a un petit goût de pomme, avec une fin un peu poivrée » »
Kader » Oh, il y en a »
Phil » C’est vraiment particulier, c’est ancien non ? ça a un goût d’ancien ! »
Kader » ça l’est. Cette bouteille date du grand bordel. On distillait tout ce que l’on pouvait, c’était l’époque des grandes expérimentations, bref, c’était la grande époque. »
Kevin « Vous avez beau dire, y a pas seulement que d’la pomme… y’a autre chose… ça serait pas des fois de la patate ? Hein ? »
Kader « Oh, mais y en a aussi »
Sonia » Le plus difficile serait de nous dire ce qu’il n’y a pas »
Kader « C’est pas faux, c’est un peu comme la bénédictine, il y a près de 136 plantes dedans » et il éclata de rire.
Kevin regardant son verre, » et de la betterave ? »
Sonia » et aussi, un peu de sciure de bois, histoire de parfumer la bête »
Paul » Et pourquoi pas des crapauds marinés pendant que t’y ait ? »
Kader » Tes trop fort Paul, c’est le p’tit truc spécial »
Phil « ça me rappelle cette espèce de machin infâme, que l’on buvait à Kaboul. Mais c’était largement avant le grand bordel. Je revois le bouge, mais comment y s’appelait-il déjà ? Les gilets jaunes ? Il réfléchit et se gratta la tête. « Non c’est pas ça, les stylos rouges ? Merdouille bin v’là qu’j’ai plus ma tête »
Cécile la Bagaude « Tssst tsst tsst, C’était les gilets rouges et le taulier, il était monté comme un âne, j’te raconte que ça, elle était au moins longue comme ça » et elle mime en indiquant son avant-bras.
Phil et Lux la regardèrent avec de grands yeux avant de les fermer et de s’assoupir sur la table.
Pour certains, la soirée, avec ses mélanges d’émotions et d’alcool, s’était arrêtée brutalement. Ils étaient affalés sur la table. Ils ronflaient, bavaient sur leur manche, la bouche déformée par un rictus.
Kader secoua la bouteille bruyamment, quelques verres réussirent à se lever, à émerger. Ils furent remplis et vidés aussi sec.
Kader regarda la salle, sourit en tapotant sa bouteille. La coopération, ça marchait toujours mieux avec un bon verre de gnôle, car pour cette besogne, il n’y avait pas mieux.
Sonia avait du mal à garder les yeux ouverts, pourtant elle la connaissait plutôt bien la saloperie de Kader, et surtout ses effets. Elle avait beau s’en méfier, elle se faisait toujours avoir. Elle ne résistait plus vraiment aux mélanges. Son vitriol n’était vraiment pas clean mais c’était la seule boisson alcoolisée qu’ils avaient sous la main et, il fallait bien avouer qu’elle avait fait du bon boulot.
Tout le monde était KO, ça c’était certain, mais ils y étaient arrivés ensemble, et il n’y a que ça de vrai pour souder une équipe.
Mais Sonia dû vite dessoûler lorsque l’une des bagaudes commença à convulser. Son corps était pris de tremblements de plus en plus importants, ses yeux se révulsaient. La crise était violente et Sonia savait que la survie du groupe était liée à celui de cette fille se trémoussant impudiquement sur le sol.
Cécile la Bagaude, la bave coulant sur le menton, hurla, » Ils nous empoisonnent, ils nous empoisonnent, ils veulent notre mort » Elle sauta sur ses jambes d’une manière malhabile.