« La récolte de cette semaine ! Elle est bonne !”
Sur la table, posés, quelques patates poussiéreuses, 4 choux rabougris, ainsi qu’une trentaine de cotes de bettes en vrac, à côté, 14 pommes minuscules et un seau de jujubes un peu blette.
“Yep ! Avec ça, avec les vivaces, plus les châtaigniers en contrebas qui redonnent des bogues et les œufs de Mirabelle et Fantômette, ça devrait le faire jusqu’au retour des glaneurs.”
Malone vida, dans l’alignement de la production du potager, deux grosses besaces l’une remplie, d’orties et de plantain, l’autre de châtaignes. En face, Phil, Sonia et Lux contemplaient avec une gourmandise retenue, la modeste nourriture des 7 prochains jours…
Chacun rêvassait aux recettes appétissantes qu’ils avaient un jour découvert dans les vieux livres de la mère Angèle, la vieille pie gardienne des trésors de l’ancien monde.
Phil fut le premier à rouvrir les yeux, un peu amorphe, il contemplait leurs futurs repas, avant de sortir difficilement de son rêve. Il finit par se lever et alla péniblement ranger leurs trésors dans les coffres en bois. Une série d’aboiements retentit au loin.
Lux se redressa en lâchant un tonitruant, « c’est l’aboiement de Rufus, ils arrivent ! « Et il se rua dehors. Les trois autres fermiers se précipitèrent à sa suite vers la porte fortifiée. Arrivé sur place, Ils distinguaient à peine un petit groupe en bas du chemin du côté de la vieille vigne. Lux courrait en zigzaguant pour le rejoindre.
Sonia cria, « il y en a un de blessé, regardez, les autres l’aident à marcher. »
Malone répondît : Pfffft ils sont trop loin, tu as vraiment la meilleure vue, moi je distingue à peine un groupe. »
Phil hurla presque « Sonia a raison regardez, je crois que c’est Antony qui est porté par les autres. Malone va rejoindre Lux pour les aider pendant que nous gardons la porte. »
Sonia s’empressa de retourner dans la maison. Elle fouilla bruyamment dans les placards pour en sortir une casserole en inox toute bosselée, tordue et brûlée après des décennies d’utilisation. Elle savait qu’elle devait faire vite. Tout préparer méthodiquement pour pouvoir soigner rapidement. Probablement une morsure : les chasseurs et les glaneurs étaient souvent attaqués ces derniers temps. Nettoyer la plaie avec de l’eau bouillie, comprimer l’hémorragie, et si besoin, recoudre. Elle y parvenait plutôt bien, et cela ne la rebutait plus comme au début. D’ailleurs de tout le village c’était elle qui recousait le mieux. Elle s’était reconstituée au fil du temps une trousse un peu hétéroclite qui faisait office de matériel médical.
L’eau n’avait pas encore commencé à frémir dans la casserole qu’elle entendit déjà derrière elle les pas confus et lourds du groupe qui s’était agglutiné autour d’Antony.
Arrivé sur place, Lux constata de suite qu’Anthony avait reçu une flèche en pleine guibolle. Il avait l’air complètement hagard et épuisé. Marion était également blessée mais au bras. Comme d’hab, elle restait imperturbable. Son passé de Feydakin était passé par là manifestement. Les autres semblaient ok, mais sans armes et sans vivres… l’issue du combat avait manifestement mal tourné.
“Qui vous a attaqué ?” demanda Lux. “Les bagaudes. Nous n’avons rien pu faire, juste s’enfuir. Ils ont pris notre gibier, nous n’avons rien pu ramener” répondit Kevin, qui soutenait Anthony.
“Ils nous ont pris par surprise, c’est un miracle si nous avons pu en réchapper” ajouta Marion.
Malone pris le relais de Kevin, manifestement KO. “Avez-vous été suivis ?” demanda Lux, manifestement inquiet pour la suite. “Non, rien à craindre” répondit Marion avec son assurance habituelle. “OK, on verra pour les bagaudes après. Dans l’immédiat, dépêchons-nous de rentrer et de nous abriter. Il est bientôt midi et ça va commencer à souffler fort dehors” poursuivit Lux…
Ils n’étaient plus qu’à quelques mètres de l’Infirmerie où Sonia avait certainement préparé de quoi désinfecter les blessures.
Tous appréhendaient l’étape qui allait suivre car si la plaie de Marion pourrait se contenter d’un bandage, celle d’Anthony demanderait des soins particulièrement douloureux. Les Bagaudes avaient utilisé une de leur flèche à pointe en V. Sonia avait imaginée de fabriquer un outil en forme de cuillère pour « entourer » la pointe et accompagner son retrait.
Seulement voilà, personne n’avait pris soin de construire ce foutu machin, ils n’avaient pas de forge, eux, que des bonnes idées !
Et Lux avait du mal à faire refluer les vagues de culpabilité qui venait toquer à la porte de sa raison. Tous ces gens comptaient sur lui, tout le temps. Si la flèche avait dépassé les tendons, il vaudrait sans doute mieux la faire traverser dans le muscle, le petit allait déguster, et il lui faudrait assister à la boucherie, probablement le maintenir, trouver des trucs à dire, et ça le dégouttait d’avance surtout qu’il ignorait s’il valait mieux le laisser tomber dans les vapes ou non.
Sans parler des problèmes d’approvisionnement, l’équipe des glaneurs et des chasseurs étaient HS, et de toute façon, ils n’avaient jamais été foutu de ramener autre chose que des bouts de plantains et de flèches des Bagaudes. Il avait faim, il avait peur, il avait sommeil, il se demandait quelles nouvelles emmerdes cette journée lui réservait.
Il n’allait pas tarder à le savoir.
La porte de l’infirmerie était ouverte en grand.
Phil était dans une colère noire. Il restait cependant assez inexpressif en apparence. Il avait déjà vu bien pire que la jambe de ce gamin ; Anthony, bien que clairement cette blessure-là ne laissait rien envisager de bon. Phil n’avait aucune compétence médicale particulière mais il avait vu son content de blessures par flèche pendant les presque dix ans qu’il avait passé à errer de ce monde de l’Après Effondrement.
Il jura intérieurement tandis que Sonia se mettait au travail. Saloperies de Bagaudes. En 47 ans de vie Phil estimait avoir vu un certain nombre d’ordures en actions et même si les Bagaudes étaient loin d’être les pires, elles étaient un problème qui allait en s’aggravant. Quelques mois auparavant elles n’auraient pas eu l’audace de s’attaquer à autre chose qu’un voyageur isolé et voilà que maintenant qu’elles s’attaquaient à trois des siens dont l’un d’eux aurait pu être tué. Et nul doute que ce nouveau méfait renforcerait la confiance en eux de ces salopards. Il fallait les briser dans leur élan. Sauf qu’avec une solution pareille on risquait l’escalade de la violence.
La violence ; Phil il savait parfaitement ce que c’était. Avant l’effondrement il avait été militaire. Puis dégoutté de l’Armée et des institutions en général, il était revenu à la vie civile et c’était lancé dans l’activisme violent. Lors d’une manifestation un CRS lui avait tiré un flashball en plein visage. Résultat des courses, aujourd’hui Phil n’avait plus que 10 dents et une vilaine cicatrice au niveau de la mâchoire. Deux semaines plus tard à une autre manifestation, il avait vu un pauvre type perdre une main en tentant de ramasser une grenade de désencerclement. Et puis après l’Effondrement il avait été impliqué volontairement (ou pas) dans différents événements impliquant divers degrés et formes de violences.
Pour finalement atterrir ici deux ans auparavant parce qu’il en avait simplement marre de ne jamais avoir un toit au-dessus de sa tête. On l’avait accepté. Et pour cela il appréciait les autres membres du village, il restait cependant très renfermé et rechignait le plus souvent à la communication verbale…